Auteurs de l’article:
Aude Gaspard, Diplôme d’Ostéopathe de France (D.O.F.).
Dr Djikeussi Eléonore, Oncologue hématologue micro-nutritionniste.
Le nombre de malades souffrant de fatigue, perturbations cognitives après le traitement d’un cancer du sein, est croissant. La Fondation contre le Cancer estime que 60 à 90% des patients souffrent de fatigue plusieurs mois après le traitement. Une autre étude évalue la prévalence de cette fatigue entre 65 et 85%[i] . Elle peut durer plusieurs mois et certaines estimations signalent qu’elle peut se prolonger pendant plusieurs années, jusqu’à 6 ans en moyenne selon certaines observations[ii].
La prise en charge de cette fatigue aux causes multiples, traduisant de nombreuses perturbations fonctionnelles et organiques, devrait être systématiquement proposée et devrait être active car elle constitue non seulement un bénéfice en termes d’amélioration de la qualité de vie des personnes convalescentes, mais également un acte de prévention tertiaire, participant à la réduction des facteurs de risque de récidive.
C’est une fatigue souvent mal définie, multiforme, ayant des manifestations variables physiques, cognitives, émotionnelles qui grèvent le quotidien, la vie familiale, le retour à l’emploi.
Nous analysons les paramètres de cette fatigue afin d’en faciliter la prise en charge.
Le stress psychologique est omniprésent au cours des prises en charge d’un cancer.
Il peut exister antérieurement, par exemple, dans le cadre d’un stress post traumatique qui va précéder l’apparition d’un cancer. Il peut apparaître ou être aggravé lors de l’annonce du diagnostic, mais également se renforcer lors de la prise en charge et persister lors de la convalescence, période marquée de l’angoisse de la récidive. Il impacte l’ensemble des fonctions organiques et en particulier le fonctionnement cérébral, le système cardiovasculaire, le système endocrinien, la fonctionnalité intestinale comme nous le verrons plus loin…
Le soutien psychologique et l’activité physique sont importants dans la gestion du stress psychologique. Cependant, il ne faut pas négliger l’importance d’un accompagnement thérapeutique pluridisciplinaires associant :
– des thérapies cognitives et comportementales, des thérapies manuelles telles que la kinésithérapie, l’ostéopathie ; Cette dernière permet dans ce cas de restaurer la bonne communication entre les systèmes nerveux central, périphérique, les différents plexus et les effecteurs organiques d’aval améliorant le fonctionnement de l’axe hypothalamo-hypophysaire, la fonction hépatique et surrénale.
– de la nutrition car le stress psychologique correspond à un mouvement moléculaire et la tentative de retour à l’homéostasie fait intervenir des molécules dont pour certaines, l’apport provient de notre alimentation comme nous le verrons plus loin.
Le Brain Fog est fréquemment associé au stress et se manifeste par n manque d’énergie physique, des perturbations émotionnelles, troubles de mémoire, trouble d’attention. Les causes sont multiples ; aussi bien le stress que les problèmes nutritionnels et l’existence d’une inflammation résiduelle de bas grade. Mais on sait aussi que certaines chimiothérapies sont responsables de la production de radicaux libres, de l’altération mitochondriales provoquant des lésions cellulaires neuronales[iii], certaines étant susceptibles, comme le taxol d’entrainer des lésions neuronales[iv],[v].
- Sa prise en charge pourra faire intervenir non seulement des thérapies cognitives et comportementales (telles que la psychologie, la sophrologie, l’hypnose…), soutien psychologique (coaching), activités physiques, mais aussi la correction des causes retrouvées…
Les troubles endocriniens Peuvent survenir car le stress chronique omniprésent au cours de la prise en charge des cancers, et celui du cancer du sein en particulier. Comme mentionné plus haut. Au cours du stress, il existe une augmentation du Cortisol Releasing factor l (schéma 1). Responsable de l’élevation du cortisol qui favorise prise de poids, et insulinorésistance.
Ce stress favorise également l’activation du système rénine angiotensine aldostérone (SRAA). (Schéma2). Ce système est responsable de modifications vasculaires, de rétention hydro-sodée), et de modifications métaboliques dans le sens de l’insulinorésistance, inflammation, modification des fonctions cérébrales et de la réponse émotionnelle[vi]…
La production œstrogénique au niveau ovarien s’altère à la suite des chimiothérapies, et il n’est pas rare de voir survenir une ménopause en l’espace de quelques mois.
Cela peut s’ajouter à la perturbation hormonale thérapeutique dans le cadre de la prévention des rechutes, avec une hormonothérapie anti oestrogénique recommandée dans ce cas pour un minimum de cinq années créant une ménopause brutale avec des symptômes plus ou moins mal tolérés. Lors de cette baisse brutale d’œstrogènes, régulatrices physiologiques du SRAA, on peut voir apparaître des signes de son activation[vii] avec les symptômes que nous avons mentionnés plus haut.
- Ici également, les mesures hygiéno-diététiques peuvent faire la différence
Les troubles digestifs. La barrière intestinale, maillon faible de notre santé est très fréquemment altérée au cours des chimiothérapies (mucite)qui favorisent des lésions pouvant la rendre hyper-perméable.
Cette perméabilité permet le passage de débris alimentaires et bactériens dans le sang. Ces substances étrangères peuvent déclencher des réactions immunitaires, une inflammation de la paroi intestinale mais aussi une inflammation générale à bas bruit qui peut toucher de multiples organes. En plus, les chimiothérapies vont également altérer le microbiote et sa capacité à protéger la muqueuse intestinale. Certaines médications de support des chimiothérapies sont connus pour leurs effets collatéraux sur la paroi intestinale et le microbiote : corticothérapies, IPP.
- La prise en charge d’une hyperperméabilité passe par la mise au repos temporaire du tube digestif grâce à une alimentation d’épargne digestive à laquelle pourront s’associer des nutriments permettant la régénération de la paroi digestive, la correction des carences nutritionnelles, des probiotiques adaptés. La poursuite de l’accompagnement psychologique, l’activité physique et les thérapies manuelles vont faciliter le fonctionnement du système digestif.
Les carences nutritionnellespeuvent se constituer ou s’aggraver au cours des traitements du cancer du sein. Les difficultés alimentaires, les troubles du goût peuvent modifier la pyramide nutritionnelle souvent dans le sens d’un excès de glucides, Une chimio-mucite réduit l’absorption de certains nutriments.
Les oméga 3 et fonctions cognitives : Leur rôle est important dans la structuration du système nerveux central et dans la lutte anti inflammatoire. Ils jouent un rôle dans la prévention des syndromes dépressifs[viii].
Le Magnésium : C’est une carence qui est fréquente dans la population générale et en particulier féminine. Ces carences lorsqu’elles n’ont pas été compensées, s’aggravent au cours des traitements en raison des facteurs mentionnés ci-dessus, mais aussi par augmentation de son excrétion sous l’effet du stress et la réduction de son absorption modifiée par les IPP fréquemment prescrits en oncologie.
Le Zinc : Outre son importance pour le bon fonctionnement du système immunitaire, la protection des tissus barrières, le zinc est nécessaire pour le bon fonctionnement cognitif et émotionnel et neuromusculaire.
L’Iode : La France est un pays de carence en iode, raison pour laquelle les pouvoirs publics ont fortifié le sel de cuisine en iode. Sa carence peut être responsable de troubles de l’humeur, troubles cognitifs, prise de poids et d’un hypofonctionnement thyroïdien responsable d’un hypométabolisme. De plus, cette carence est associée à un risque plus élevé de cancers glandulaires[ix].
Le Fer : Sa carence est fréquente surtout chez la femme en âge de procréer ; l’impact d’un manque de fer a des conséquences sur toutes les fonctions organiques et se manifeste par fatigue chronique physique et cognitive, troubles de l’humeur de type dépressifs, troubles digestifs, troubles du sommeil….
Les vitamines du groupe B : La plupart de ces vitamines interviennent le métabolisme énergétique, et celui des neurotransmetteurs.
Une déficience en vitamine B1, souvent oubliée à tort dans les pays à haut revenu, peut être provoquée par une consommation excessive de glucides raffinés, ou perfusions de solutés glucosés répétées lors des chimiothérapies. Elle peut survenir chez les personnes fragilisées sur le plan nutritionnel ou ayant une alcoolisation chronique. Elle peut déterminer une fatigue pouvant aller jusqu’à un béribéri mou avec syndrome œdémateux, diminution des fonctions cognitives. La carence en folates (vitamine B9) est fréquente dans la population générale. Elle peut induire une dysfonction cognitive, dépression, et plus rarement neuropathie périphérique comme la vitamine B12 avec laquelle, ils partagent un rôle fondamental dans la synthèse de l’ADN et de son expression (méthylation) et jouent un rôle crucial dans la croissance tissulaire et sa réparation. L’apport de vitamine B12 est souvent insuffisante dans la population féminine qui consomme de moins en moins de produits carnés. Elle peut être majorée par l’hypochlorhydrie induite par les inhibiteurs de pompe à protons, qui par ailleurs sont souvent surprescrits au cours des traitement anticancéreux.
La vitamine D : sa déficience est fréquente en population générale. Elle s’aggrave au cours des traitements. De nombreuses femmes qui débutent un traitement anti-aromatase sont carencées en vitamine D. Or, la supplémentation en vitamine D3 améliore les arthralgies induites par les traitements hormonaux[x]. De plus son dosage est plus souvent faible chez les personnes présentant des troubles du sommeil et fatique chronique associée à des douleurs musculosquelettiques[xi].
Le syndrome métabolique post chimiothérapie évolue actuellement sur un mode épidémique. Il associe obésité abdominale, stéatose hépatique, insulinorésistance, fonte musculaire, asthénie physique et psychique et est facteur de manifestations dégénératives diverses multi-organes, parmi lesquels les cancers glandulaires[xii]. Il est favorisé par la réduction d’activité physique, les dérégulations endocriniennes, les traitements hormonaux, l’hyperperméabilité intestinales, les carences micronutritionnelles, les troubles de le fonctionnalités hépatique induite par les chimiothérapies en particuliers les taxanes[xiii].
- Les régimes appauvris en glucides denses en micronutriments sont ici d’une aide considérable ainsi que l’activité physique adaptée et ils peuvent permettre de reverser en quelques mois ce syndrome métabolique.
L’importance de la fonctionnalité hépatique. L’implication du foie est indéniable dans l’installation des troubles ci-dessus cités. Il joue un rôle très important en détoxifiant les endobiotiques et les xénobiotiques, Classiquement on divise cette détoxification en plusieurs phases.
La phase 1 transforme les substances liposolubles (médicaments, pesticides, hormones…) en substances hydrosolubles par l’action de cytochromes catalysant des réactions d’oxydo-réduction qui nécessitent l’intervention d’un système neutralisant anti-oxydant..
La phase 2 consiste à complexer les substances formées en phase 1 avant leur élimination. Elle nécessite des enzymes avec leur cofacteurs minéraux et des vitamines. Et des acides aminés. La phase 3 correspond à l’excrétion par les organes émonctoires.
Le soutien de la fonction hépatique nécessite donc un état nutritionnel et micro-nutritionnel correct. Dans la période de convalescence, dans certaines conditions, il peut être proposé des substances anti-oxydantes, de la phytothérapie comme Desmodium, Chardon marie (silymarine)…
Sur le plan mécanique, L’ostéopathe va donc permettre par son action de favoriser la perfusion sanguine du foie, ce qui va améliorer sa qualité tissulaire, soutenir sa fonction, faciliter sa capacité de drainage et restaurer le tonus musculaire normal des éléments thoraco-rachidiens.
Les séquelles post chirurgicales, post chimiothérapie et radiothérapie. Le lymphœdème du membre supérieur post chirurgie, les douleurs du sein fantôme, douleurs neuropathiques périphériques, troubles posturaux et dysfonction de l’épaule…
Les cicatrices post-chirurgicales et celles dues à la radiothérapie modifient la souplesse et la qualité des tissus musculo-aponévrotique, la perfusion vasculaire et lymphatique, le réseau nerveux, créant des rétractions et tractions qui entrainent des adaptations posturales pour le maintien de l’équilibre et des mouvements, de la locomotion. Elles sont aussi responsables d’un inconfort et de douleurs chroniques et surtout d’une augmentation considérable de la dépense énergétique[xiv]. Elles peuvent être aggravés par le port de prothèse mammaire.
Le rôle des prises en charge mécaniques ayant une action spécifique comme la kinésithérapie et globale comme l’ostéopathie est capital, ainsi que le maintien d’un bon état nutritionnel et l’aide des thérapies cognitivo- comportementales.
Les Perturbations de l’image corporelle (alopécie, mastectomie vecue souvent comme une mutilation, les tatouages indélébiles, les épidermites…) de la sexualité, des relations sociales et professionnelles sont également à prendre en considération.
La prise en charge de la fatigue post chimiothérapie est multidisciplinaire
Elle nécessite pour chaque personne après une soigneuse évaluation de ses problématiques individuelles, la mise en place d’un programme d’accompagnement thérapeutique personnalisé combinant prioritairement des prises en charges non médicamenteuses évoquées dans cet article.
[i] Thong MSY. Cancer related fatigue: cause and current traitement options. Curr Treat options Oncol 2020 ; 21(2) : 17.
[ii] Jones JM et al. Cancer-Related Fatigue and associated disability in post treatment cancer survivors. J. Cancer Surviv. 2016; 10(1):51.
[iii] Chemobrain: A review on mechanistic insight, targets and treatments. Adv Cancer Res 2022;155:29-76
[iv] Lee BF et al. The Cancer Chemotherapeutic Agent ( Taxol) Reduces Hippocampal Neurogenesis via Down-regulation of Vesicular Zinc. Sci Rep 2017; 7:11667.
[v] Nokia MS et al. Chemotherapy Disrupt Learning, Neurogenesis and Theta Activity in Adult Brain. Eur. J. NeuroSci. 2012; 36; 3521.
[vi] Relationship between the central renin-angiotensin system, stress and hypertension. Arch Mal Coeur Vaiss. 1999 Aug;92(8):1111-3
[vii] Sealey JE et al. Estradiol- and progesterone-related increases in the renin-aldosterone system: studies during ovarian stimulation and early pregnancy. J Clin Endocrinol Metab. 1994 Jul;79(1):258-64.
[viii] Omega-3 Fatty Acids and Depression: Scientific Evidence and Biological Mechanisms. Giuseppe Grosso,et al. ; Oxid Med Cell Longevity . 2014:2014:313570
[ix] Carence en iode et cancer. Science santé nature numéro année 2021
[x] Arul Vijaya Vani S, Clin Chim Acta. 2016 Aug 1;459:53-56.
[xi] David E McCarty et al. Nonspecific pain is a marker for hypovitaminosis D in patients undergoing evaluation for sleep disorders: a pilot study. Nature and Science of Sleep 2013:5 37–42.
[xii] Cancer : maladie génétique ou crise énergétique cellulaire ? Le pouvoir de l’alimentation. Editions du souffle d’Or.
[xiii] Hepatotoxicity of chemotherapy. King PD, Perry MC.; Oncologist 2001;6:162-76.
[xiv] Changes in Spine Alignment and Postural Balance After Breast Cancer Surgery: A Rehabilitative Point of View | BioResearch Open Access (liebertpub.com)